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Une protection solide : Préserver le secret professionnel de l’avocat
Litige

Une protection solide : Préserver le secret professionnel de l’avocat

Le secret professionnel de l’avocat est un fondement de notre système judiciaire. Il s’agit non seulement d’un droit légal et civil, mais aussi d’un principe de justice fondamentale. Une fois établi, il fait office de voile impénétrable de confidentialité, qu’on peut lever seulement dans des circonstances très précises. Pour les organisations et les particuliers qui ont besoin d’avis juridiques pour faire face à des risques ou élaborer des stratégies commerciales, cette protection constitue une assurance inestimable et un facteur crucial dans leur capacité à solliciter ces avis.

La jurisprudence est claire : le secret professionnel de l’avocat doit être « aussi absolu que possible » et ne doit être remis en cause qu’en cas d’absolue nécessité. En 2023, des tribunaux des quatre coins du pays ont mis en lumière les paramètres de la doctrine – plus précisément, dans le contexte de la renonciation et de l’abrogation par voie législative – affirmant encore plus clairement que le secret professionnel de l’avocat ne sera remis en cause que dans les cas les plus manifestes.

Ces affaires mettent en évidence la solide protection accordée au secret professionnel de l’avocat, tout en donnant des indications précieuses sur ses conditions préalables et ses paramètres, qui constituent le fondement des pratiques exemplaires que les organisations devront suivre à l’avenir.

Aperçu du secret professionnel de l’avocat

Les conditions préalables au secret professionnel de l’avocat sont bien établies par la jurisprudence des cours d’appel. De façon générale, le secret professionnel de l’avocat s’applique à toutes les communications faites dans le cadre de la relation entre l’avocat et le client dans le but de solliciter ou de donner des avis juridiques et que les parties veulent garder confidentielles.

Afin d’établir l’existence du secret professionnel, la relation entre l’avocat et le client est interprétée au sens large. Elle vise tant l’avis donné à un organisme administratif par un avocat salarié que l’avis donné dans le contexte de l’exercice privé du droit. Il a également été établi que cette relation s’étend aux avis donnés par un avocat qui n’est pas autorisé à exercer dans la province ou le territoire où les avis ont été donnés.

Bien que le secret professionnel de l’avocat s’applique à l’ensemble des communications faites dans le cadre de la relation entre l’avocat et le client au cours de laquelle des avis sont sollicités ou donnés, il ne s’applique pas si le principal objet de cette communication n’est pas d’ordre juridique. Par exemple, les conseils d’affaires donnés par un conseiller juridique interne ne seront pas protégés par le secret professionnel s’ils ne sont pas de nature juridique.

Le secret professionnel de l’avocat ne s’appliquera pas non plus si la communication ne se voulait pas confidentielle. Bien que toutes les communications faites dans le cadre de la relation entre l’avocat et le client soient de prime abord confidentielles, cette présomption peut être réfutée lorsqu’il est clair que telle n’était pas l’intention. Par exemple, dans l’affaire Canadian Flight Academy Ltd. v. Oshawa (City) (disponible en anglais seulement), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que certaines communications n’étaient pas protégées par le secret professionnel de l’avocat du fait qu’elles avaient été communiquées à des tiers qui n’exerçaient pas une fonction essentielle à la relation entre l’avocat et le client.

Levée du secret professionnel de l’avocat : Renonciation ou abrogation par voie législative

Une fois établi, le secret professionnel de l’avocat est vaste et universel et, sous réserve d’exceptions bien précises, il est rarement levé. Les deux exceptions sont la renonciation et l’abrogation par voie législative.

La renonciation

Le client peut renoncer, expressément ou implicitement, au secret professionnel de l’avocat dont il bénéficie. Dans les deux cas, la renonciation doit être claire et sans ambiguïté. La jurisprudence de 2023 donne des indications importantes sur les circonstances dans lesquelles le tribunal conclura à une renonciation expresse ou implicite au secret professionnel de l’avocat.

Il y a renonciation expresse lorsque le client connaît l’existence du secret professionnel de l’avocat et manifeste son intention d’y renoncer. Par exemple, dans l’arrêt R. v. T.G.(disponible en anglais seulement), décision qu’elle a rendue en 2023, la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu à une renonciation expresse parce que le client avait expressément consenti à la divulgation de ses renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.

Toutefois, la divulgation involontaire de renseignements ne constitue pas un élément suffisant pour conclure à la renonciation au secret professionnel de l’avocat. Conformément à l’approche de protection du secret professionnel de l’avocat, le tribunal examinera les véritables intentions des parties et ne conclura à une renonciation expresse que s’il est clair que telle était l’intention. Il n’y a pas non plus de renonciation au secret professionnel de l’avocat si la partie qui a divulgué les renseignements ignorait que les communications étaient protégées par le secret professionnel.

La divulgation involontaire de renseignements ne constitue pas un élément suffisant pour conclure à la renonciation au secret professionnel de l’avocat.

Cette distinction a été soulignée dans l’arrêt R. v. T.G. : le tribunal a conclu que la renonciation expresse au secret professionnel de l’avocat ne concernait que certains dossiers médicaux que l’avocat de la défense avait communiqués à la Couronne, et qu’il n’y avait pas eu de renonciation à l’égard d’une autre série de dossiers, car l’accusé n’avait pas eu la possibilité de les examiner. Il ne disposait donc pas des connaissances nécessaires pour renoncer expressément au secret professionnel de l’avocat ou n’avait pas l’intention de le faire. Bien que le secret professionnel en cause dans l’arrêt T.G. fût relatif au litige, les mêmes principes de renonciation s’appliquent.

Une renonciation peut être implicite si la partie qui fait valoir le secret professionnel de l’avocat met en cause son état d’esprit dans un litige. Contrairement à la renonciation expresse, la renonciation implicite ne doit pas nécessairement être intentionnelle. Le tribunal tiendra plutôt compte de l’ensemble du contexte et conclura à la renonciation lorsque l’équité et la cohérence l’exigent. Comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a confirmé cette année dans l’arrêt Peak Products Manufacturing v. Gross (disponible en anglais seulement), cette situation se présente généralement lorsqu’une partie tente de tirer avantage de ses communications protégées par le secret professionnel de l’avocat tout en empêchant l’autre partie d’évaluer la véracité de ses allégations.

Dans l’affaire Peak Products Manufacturing, le demandeur a intenté une action en justice pour faire respecter une prétendue convention d’actionnaires. Deux semaines auparavant, il avait envoyé aux défendeurs un projet de plainte contenant des allégations qui allaient au-delà de celles contenues dans l’action intentée. Les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle pour diffamation et abus de procédure, alléguant que les déclarations dans le projet de plainte étaient fausses et constituaient une tentative d’extorsion.

Le demandeur a demandé le retrait de la demande reconventionnelle en invoquant l’immunité absolue – une défense contre la diffamation qui protège les déclarations faites dans le cadre de procédures judiciaires – et en soulignant que son avocat avait reçu des instructions conditionnelles d’engager des poursuites lorsqu’il a remis le projet de plainte aux défendeurs. Les défendeurs ont fait valoir que le demandeur avait renoncé au secret professionnel de l’avocat en faisant référence aux instructions qu’il avait données à son avocat, mettant ainsi en cause son état d’esprit.

La Cour d’appel a refusé de conclure à la renonciation, confirmant la décision du tribunal de première instance selon laquelle le demandeur n’avait pas mis son état d’esprit en cause. En l’absence d’autres faits, l’allusion du demandeur aux instructions conditionnelles données à son conseiller juridique ne justifiait pas une rupture du secret professionnel de l’avocat.

Par ailleurs, le tribunal ne conclura à une renonciation implicite que si les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat sont pertinents au regard d’une question importante en litige. Par exemple, dans l’arrêt Air Passenger Rights v. Canada (Attorney General) (disponible en anglais seulement), la Cour d’appel fédérale n’a pas conclu à l’existence d’une renonciation au secret professionnel de l’avocat pour un ensemble de documents protégés qui portaient principalement sur un sujet qui n’était pas en cause dans la demande.

Ces décisions récentes font ressortir l’interprétation judiciaire uniformément restrictive de la doctrine de la renonciation au Canada et soulignent par ailleurs que le secret professionnel de l’avocat ne sera écarté qu’en cas d’absolue nécessité.

L’abrogation par voie législative

Le secret professionnel de l’avocat peut également être abrogé par voie législative. Toutefois, dans l’arrêt Ontario (Auditor General) v. Laurentian University (disponible en anglais seulement), la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé qu’elle ne conclura à l’abrogation du secret professionnel de l’avocat que si le libellé du texte législatif indique clairement et sans ambiguïté que le corps législatif a voulu obtenir ce résultat.

Dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si la Loi sur le vérificateur général (Ontario) conférait au vérificateur général de l’Ontario le pouvoir d’accéder à des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat appartenant aux bénéficiaires de subventions gouvernementales et d’obliger ces derniers à les divulguer. Le juge Tulloch a rejeté l’appel, confirmant la conclusion du juge de première instance selon laquelle la loi ne faisait pas explicitement référence à l’abrogation du secret professionnel. Il a statué que, même si le corps législatif ne doit pas nécessairement utiliser le terme « secret professionnel de l’avocat », le libellé de la loi doit être clair et explicite et montrer une intention sans équivoque d’abolir le secret professionnel. Des termes généraux ne constituent pas un élément suffisant, car le secret professionnel ne peut être abrogé par déduction.

L’arrêt Laurentian University confirme qu’il n’y a aucune exception – pas même pour le vérificateur général, qui dispose généralement de pouvoirs très étendus pour ordonner la production de documents – au principe général selon lequel les tribunaux canadiens ne lèveront pas le secret professionnel de l’avocat, à moins d’être absolument certains qu’un tel résultat est nécessaire ou qu’il était voulu.

Pratiques exemplaires visant à protéger le secret professionnel

Bien que cette jurisprudence récente confirme utilement que les tribunaux continueront à considérer le secret professionnel de l’avocat comme une protection solide et presque absolue, il est important de respecter rigoureusement les exigences de ce privilège pour s’assurer que les communications concernées demeurent protégées.

Les entreprises et leurs avocats doivent tenir compte d’un certain nombre de pratiques exemplaires lorsqu’ils traitent des renseignements potentiellement protégés par le secret professionnel de l’avocat. Par exemple, lorsque l’avocat rédige un mandat de représentation en justice ou des instructions, il doit être expressément précisé que ce mandat porte sur des « avis juridiques ». Les avocats doivent également éviter de regrouper les conseils d’affaires et les avis juridiques dans un seul document et doivent préciser que ces avis sont confidentiels.

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De plus, les organisations doivent veiller à mettre en place des politiques et des procédures solides visant à protéger le secret professionnel et à éviter que des avis soient communiqués à l’interne à des personnes autres que celles qui en ont besoin, ou à l’externe sans protection appropriée. Par exemple, la diffusion des avis juridiques devrait être limitée, y compris au sein d’une organisation. Pour plus de sécurité, les organisations doivent envisager d’apposer la mention « ne pas transmettre » sur tous les avis juridiques.

Enfin, les avocats doivent éviter d’invoquer des moyens de défense juridiques qui risquent de mettre en cause l’état d’esprit d’une organisation. Si une telle défense est nécessaire, les plaideurs doivent être informés des risques connexes et bien les comprendre.

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