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Un projet de modification des règles sur les prix de transfert incorpore les concepts de l’OCDE dans les lois fiscales du Canada
Prix de transfert

Un projet de modification des règles sur les prix de transfert incorpore les concepts de l’OCDE dans les lois fiscales du Canada

Les règles canadiennes sur les prix de transfert font en sorte qu’aux fins de l’impôt sur le revenu canadien, le prix des opérations transfrontalières avec lien de dépendance correspond à celui que les parties sans lien de dépendance auraient utilisé dans des opérations semblables. Dans les décisions qu’ils ont rendues au cours des vingt dernières années, les tribunaux canadiens ont toujours soutenu que les règles en question visaient à faire respecter les fondements juridiques des opérations réalisées par les parties, exigeant seulement la suppression des distorsions de prix qui découlent du lien de dépendance.

Dans son budget de 2021, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de lancer une consultation publique sur les règles canadiennes sur les prix de transfert en raison de ses préoccupations à l’égard des directives données par les tribunaux dans l’une de ces décisions; il s’agit de la décision dans l’affaire Cameco, dans le cadre de laquelle sa demande de pourvoi auprès de la Cour suprême a été rejetée. Le document de consultation qui s’en est suivi et qui a été publié en juin 2023, comporte un projet de modifications législatives.

Les modifications proposées et les évolutions connexes entraînent des conséquences importantes sur les vérifications et les différends en ce qui concerne l’interprétation et l’application du principe de pleine concurrence au Canada. Si elles sont mises en œuvre en leur forme proposée, les modifications proposées engendreraient de l’incertitude et pourraient nuire à la compétitivité du Canada. Les groupes multinationaux devraient examiner à la loupe leurs opérations intragroupes et confirmer qu’ils sont suffisamment préparés pour défendre leurs politiques en matière de prix de transfert à la lumière des concepts du projet sur l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (projet BEPS) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui sous-tendent les modifications proposées.

Modifications proposées

Les modifications proposées dans le document de consultation constituent la première révision substantielle des règles sur les prix de transfert prévues à l’article 247 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) depuis son adoption en 1997. Le libellé et les concepts sont fortement touchés par les modifications apportées aux directives sur les prix de transfert publiées par l’OCDE dans ses Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (les Principes de l’OCDE) découlant du projet BEPS.

Le document de consultation laisse entendre que « l’absence de détails dans la version actuelle [des règles] […] a contribué à mettre indûment l’accent sur les contrats intra-groupe, plutôt que sur la nature réelle des transactions ». Il indique que cette situation a entraîné « des résultats où la répartition des bénéfices entre le contribuable canadien et le contribuable non-résident allait à l’encontre des contributions économiques des parties ».

Si les nouvelles règles proposées sont adoptées, il sera toujours obligatoire d’ajuster, aux fins de l’impôt, les opérations avec lien de dépendance aux conditions qui auraient été établies dans des circonstances comparables si les parties n’avaient pas eu un lien de dépendance. Elles introduisent toutefois un nouveau concept, qui est la première étape du cadre d’analyse. Le nouveau concept d’« opération ou série délimitée » sert de base de comparaison avec les conditions de pleine concurrence. L’« opération ou série délimitée » doit être déterminée en fonction de « caractéristiques économiquement pertinentes ». Ce concept est dérivé des Principes de l’OCDE et est défini de manière à inclure certains facteurs qui mettent l’accent sur le « comportement réel » des parties par rapport aux conditions contractuelles des opérations. Une fois que l’« opération ou série délimitée » est établie, ses « conditions » (autre nouveau terme qui désigne de façon large « tous les renseignements » relatifs à l’opération ou à la série) doivent être examinées attentivement et ajustées en fonction des conditions de pleine concurrence.

L’idée maîtresse à la base de ces nouveaux concepts et de ce nouveau cadre d’analyse est d’élargir l’ensemble des faits et des renseignements qui peuvent être pertinents pour une analyse des prix de transfert. Le résultat est de mettre en doute la mesure dans laquelle les contribuables peuvent s’appuyer sur les documents juridiques des opérations comme fondement de l’analyse.

Les modifications proposées prévoient également qu’une opération ou une série peut être ignorée et remplacée par une autre si, du point de vue commercial, il avait été irrationnel pour les parties sans lien de dépendance de conclure une telle opération ou série et si cela empêche la détermination d’un prix de transfert. Cette modification remplacerait la partie des règles sur les prix de transfert portant sur la « requalification » qui était le principal enjeu dans l’affaire Cameco. Elle éliminerait l’exigence selon laquelle une opération ou une série doit être motivée par des considérations fiscales avant de pouvoir être ignorée.

S’inscrivant dans la tendance récente qui consiste à intégrer par renvoi les directives de l’OCDE dans la législation fiscale, les modifications proposées prévoient aussi l’adoption d’une « règle de cohérence ». Cette règle exigerait que les montants déterminés en vertu des règles nationales sur les prix de transfert soient conformes aux montants déterminés en vertu des Principes de l’OCDE, à moins que le contexte n’exige le contraire.

Même si les modifications proposées constituent une révision majeure des règles canadiennes sur les prix de transfert, elles sont généralement compatibles avec l’approche adoptée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) en matière de vérification et d’évaluation des groupes multinationaux. D’après notre expérience, l’ARC se fonde de plus en plus sur les concepts du projet BEPS dans ses positions sur les prix de transfert, qui ont été un point central des vérifications effectuées par l’ARC au cours des dernières années. Nous nous attendons à ce que les modifications proposées, si elles sont adoptées, encouragent l’ARC à intensifier son examen minutieux des prix des opérations transfrontalières intragroupes.

Les modifications proposées, si elles sont adoptées, encourageront l’ARC à intensifier son examen minutieux des prix des opérations transfrontalières intragroupes.

La consultation sur les règles sur les prix de transfert se déroule parallèlement à d’autres initiatives d’ordre législatif, dont une consultation sur les modifications législatives de la règle générale anti-évitement (RGAE), sujet de notre article intitulé « Une nouvelle ère pour la RGAE canadienne », et la mise en œuvre au Canada d’un impôt minimum mondial. D’autres initiatives liées au projet BEPS sont également en cours. Elles portent notamment sur les règles anti-hybrides et les règles de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement (RDEIF), ainsi que sur un élargissement important de l’éventail d’outils et de ressources à la disposition de l’ARC lors des vérifications des groupes multinationaux.

Au cours des dernières années, nous avons observé un accroissement des pouvoirs de vérification de l’ARC, une succession d’investissements de fonds publics dans les activités de vérification et d’application de la loi de l’ARC et l’adoption d’une série de règles de divulgation obligatoire qui ont reçu la sanction royale le 22 juin 2023. Ces règles de divulgation obligatoire exigent, entre autres choses, la divulgation, dans certaines situations, des positions fiscales incertaines indiquées dans les états financiers consolidés d’un groupe. Ces exigences entraîneront la divulgation annuelle à l’ARC d’une « feuille de route » à l’égard de certains prix de transfert et d’autres positions fiscales qui nécessitent de porter des jugements complexes.

En plus de ces faits nouveaux, les modifications proposées aux règles sur les prix de transfert transformeront la portée et le caractère des vérifications dans un avenir prévisible, ainsi que le niveau d’examen que l’ARC est susceptible d’appliquer aux ententes entre parties ayant un lien de dépendance. Si les modifications proposées sont adoptées en leur forme proposée, nous nous attendons à ce que les activités de vérification s’intensifient et à ce que les litiges fiscaux en découlant se multiplient. Les groupes multinationaux devront évaluer leur niveau de préparation afin de pouvoir communiquer à l’ARC leurs pratiques commerciales et intragroupes et justifier leurs politiques en matière de prix de transfert dans le présent contexte en pleine évolution.

Les contribuables qui souhaitent résoudre ou éviter les litiges sur les prix de transfert peuvent demander un allégement bilatéral et multilatéral auprès de l’« autorité compétente » en vertu d’une convention fiscale du Canada – par exemple, au moyen d’un arrangement préalable en matière de prix de transfert (APP) qui offre une garantie pour les exercices futurs. Malheureusement, l’ARC a eu tendance récemment à restreindre, plutôt qu’à élargir, l’accès à ces programmes.

En savoir plus sur le groupe de droit fiscal d’Osler

Plus tôt cette année, l’ARC a publié un projet de circulaire d’information révisé qui fournit des indications sur les APP, invitant les intervenants à formuler des commentaires sur la première révision de ce genre en plus de 20 ans. Selon le projet de circulaire, les contribuables seraient désormais tenus de fournir des renseignements plus détaillés à l’étape préalable au dépôt d’un APP, avant l’acceptation dans le programme. Le projet de circulaire dresse également une liste exhaustive des motifs que l’ARC peut invoquer pour rejeter une demande d’APP même après avoir reçu des renseignements détaillés, y compris un désaccord avec le contribuable au sujet de l’approche la plus appropriée en matière de prix de transfert. Un membre canadien d’un groupe multinational a récemment demandé une révision judiciaire de la décision rendue par l’autorité compétente après que celle-ci a refusé de l’accepter dans le programme d’APP. Sa demande se fondait sur le motif que les opérations visées faisaient suite à une restructuration, qui constitue un autre motif potentiel de rejet énuméré dans le projet de circulaire de l’ARC.

Si elles sont adoptées, les propositions visant à modifier les dispositions sur les prix de transfert présentées dans le document de consultation exerceront probablement davantage de pression sur l’ARC pour qu’elle améliore l’accès aux services de l’autorité compétente comme le programme d’APP, à l’heure où les contribuables accordent de plus en plus d’importance à la certitude dans un contexte de conformité en rapide évolution.

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