Les entreprises canadiennes sont confrontées à des problèmes de chaîne d’approvisionnement depuis le début de la pandémie de COVID-19. Bien que certains de ces problèmes se soient atténués en 2023, de nouveaux défis se sont présentés en raison de l’instabilité géopolitique persistante, de l’inflation, de la politique monétaire et d’autres facteurs sociaux et économiques. En réponse, le Canada a mis l’accent sur des mesures politiques et réglementaires destinées à renforcer les chaînes d’approvisionnement nationales et à les protéger d’une dépendance excessive à l’égard des sources étrangères nécessaires au fonctionnement de l’économie canadienne (délocalisation intérieure). Le Canada a également cherché à renforcer ses relations avec ses alliés stratégiques et à faire un effort conscient pour construire des chaînes d’approvisionnement passant par les économies d’autres démocraties, un concept appelé « amilocalisation ». L’« amilocalisation » est un élément clé de la politique du gouvernement fédéral. Les entreprises doivent s’attendre à ce qu’elle demeure une priorité en 2024.
En 2023, le gouvernement fédéral a introduit un certain nombre de politiques destinées à renforcer ses relations avec ses alliés. À la veille de 2024, nous estimons que cette tendance se poursuivra. Les Canadiens et Canadiennes ainsi que les entreprises canadiennes devraient être attentifs à un certain nombre d’autres tendances en 2024 et au-delà. Il s’agit notamment de la nécessité de se préparer à la mise en œuvre de la nouvelle loi relative à l’esclavage moderne, à la poursuite des sanctions et au renforcement de leur application, ainsi qu’à l’utilisation accrue des contrôles à l’exportation en tant qu’instruments politiques, entre autres. Les possibles initiatives visant à lutter contre les changements climatiques au moyen de pratiques commerciales, les mesures visant à moderniser les accords de libre-échange et les différends actuels en matière de libre-échange doivent également faire l’objet d’un suivi attentif.
Le Canada met en œuvre une loi pour lutter contre l’« esclavage moderne »
Plus tôt cette année, le Canada a adopté le projet de loi S-211, la Loi sur l’esclavage moderne (la Loi), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024. Il s’agit de la réponse du Canada aux violations des droits de la personne commises dans certaines chaînes d’approvisionnement, en particulier le recours au travail forcé et au travail des enfants. Le Canada se joint à d’autres territoires, notamment l’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Australie et la Californie, en imposant à de nombreuses entreprises domiciliées au Canada des obligations d’autodéclaration publique et transparente concernant leurs chaînes d’approvisionnement. Ces obligations s’appliqueront également aux entreprises qui ont seulement un lien avec le Canada, comme celles qui sont cotées sur une bourse de valeurs canadienne ou qui possèdent des actifs ou exercent autrement des activités au Canada.
Le Canada a également cherché à renforcer ses relations avec ses alliés stratégiques.
Pour plus de détails concernant les types d’organisations qui sont concernés et les seuils financiers qui déclenchent les obligations de déclaration, consultez notre blogue [en anglais] et notre guide pratique.
La Loi s’appuie sur l’interdiction existante d’importer des biens fabriqués par du travail forcé, interdiction qui résulte de la mise en œuvre par le Canada de ses obligations en vertu de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Bien que l’application de l’interdiction existante par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ait été limitée jusqu’à présent, les entreprises doivent être conscientes du fait que les rapports prévus par la nouvelle loi doivent être publiés. L’ASFC peut utiliser ces rapports, ainsi que les renseignements obtenus dans le cadre d’un protocole d’échange d’information avec le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, pour cibler les importations de certaines entreprises. Cela pourrait conduire à une légère hausse des mesures d’application de la loi.
La Loi est importante parce qu’elle s’applique à la fois aux sociétés ouvertes et aux sociétés fermées. En outre, les obligations qui y sont prévues sont impératives et assorties d’une série de sanctions qui touchent la responsabilité des administrateurs et des dirigeants en cas de non-respect. Certains rapports devront être approuvés par les conseils d’administration des entités concernées, être déposés auprès du gouvernement fédéral et être mis à la disposition du public. Les sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions devront fournir leurs rapports à leurs actionnaires en même temps que leurs états financiers annuels au plus tard le 31 mai de chaque année, quel que soit leur exercice financier.
Il est impératif que les entreprises canadiennes et les entreprises ayant un lien avec le Canada se demandent si elles sont soumises aux obligations de déclaration de la Loi. Si c’est le cas, elles doivent commencer à retracer leurs chaînes d’approvisionnement et à collecter les renseignements nécessaires à la préparation de leur rapport. Les entreprises soumises à des obligations de déclaration devraient mettre en œuvre des moyens leur permettant d’énumérer dans leurs rapports les mesures qu’elles ont prises pour se conformer à la Loi. Ces mesures peuvent comprendre des formations et d’autres éléments de préparation à la mise en conformité. Comme on l’indique dans l’article intitulé « Qui, quoi et comment : les questions au cœur de la gouvernance d’entreprise », la surveillance de cette obligation de faire rapport par le conseil d’administration sera également essentielle.
Le nombre de sanctions continue d’augmenter
Alors que nous entrons dans la troisième année de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Canada et ses alliés ont continué à étendre leur recours aux sanctions. Le Canada s’est notamment montré de plus en plus disposé à mettre rapidement en œuvre de nouvelles sanctions unilatérales, en adoptant par exemple des sanctions unilatérales contre Haïti et l’Iran, devançant ainsi certains de ses alliés.
Le Canada a également continué à étendre les sanctions existantes à un rythme effréné. Les listes de personnes et d’entités désignées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales (Règlement visant la Russie) ont été élargies pour inclure près de 500 entités et près de 1 500 personnes. Ces listes continuent d’être régulièrement mises à jour, parfois quotidiennement ; il est donc essentiel que les entreprises effectuent un suivi permanent.
Bien que, par le passé, le Canada ait fait preuve d’un manque d’efforts en matière d’application des sanctions, les entreprises canadiennes et les entreprises exerçant des activités au Canada doivent se préparer à une augmentation éventuelle des mesures d’application de la loi en 2024. Le plan ministériel 2023-2024 d’Affaires mondiales Canada parle de créer une direction chargée des sanctions et de divers autres mécanismes conçus pour améliorer les capacités d’application de la loi du Canada. Cette orientation est particulièrement importante dans les cas où le Canada adopte des sanctions unilatérales qui n’ont d’équivalent dans aucun autre territoire.
Les contrôles à l’exportation en tant qu’instruments de politique étrangère
Les contrôles à l’exportation limitent l’exportation de biens, de technologies et de données techniques connexes en exigeant généralement un permis ou une licence d’exportation. Les gouvernements peuvent utiliser les contrôles à l’exportation pour restreindre l’accès des étrangers à des biens ou technologies particulièrement critiques. Toutefois, jusqu’à présent, les contrôles des exportations du Canada, contrairement aux sanctions, n’ont pas été aussi souvent liés directement aux priorités géopolitiques et géoéconomiques.
Nous avons constaté que des gouvernements partout dans le monde ont tendance à utiliser les contrôles des exportations et les mesures connexes comme instruments de politique étrangère. Certains signes indiquent que le Canada pourrait suivre cette tendance en 2024. En mai 2023, par exemple, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont organisé la première conférence nord-américaine sur les semi-conducteurs. La déclaration conjointe de la conférence indique que les parties harmoniseront plus étroitement leurs priorités stratégiques industrielles et technologiques pour assurer à l’Amérique du Nord la sécurité de production nécessaire aux technologies émergentes.
Les États-Unis redoublent d’efforts pour encourager la production nationale de puces et réduire leur dépendance à l’égard de celles qui sont produites dans la région Asie-Pacifique. Le Canada pourrait donc ajuster ses politiques en conséquence et, en plus de ses contrôles à l’exportation existants, restreindre l’exportation ou la réexportation de semi-conducteurs ou d’autres produits critiques, vers la Chine en particulier.
Ce nouveau changement de politique prend de l’ampleur. On peut en trouver les détails dans le plan ministériel 2023-2024 d’Affaires mondiales Canada, qui mentionne que le Canada participera à l’élaboration d’une déclaration internationale et de normes connexes relatives à la gouvernance de l’intelligence artificielle.
Une nouvelle frontière : mécanismes d’ajustement pour le carbone
Le Canada et d’autres pays continuent de renforcer leur réglementation pour lutter contre les changements climatiques et, en particulier, contre les « fuites de carbone », c’est-à-dire le déplacement des industries à forte intensité de carbone vers des territoires où la réglementation n’est pas aussi stricte. Dans le même temps, de nouvelles mesures peuvent être adoptées, qui concernent à la fois le commerce intérieur et le commerce international. En tant que partie à l’Accord de Paris, le Canada a accepté, avec 194 autres pays, de mettre en œuvre des mesures nationales pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Les parties ont établi des cibles pour 2025 et 2030. La définition et l’avancement de ces cibles ont amené d’autres territoires à commencer à mettre en œuvre des mesures axées sur le commerce international. Sur la base des évolutions survenues en 2023, nous nous attendons à ce que le Canada suive le mouvement dans les années à venir.
Le 1er octobre 2023, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières [présentation en anglais] (MACF) de l’Union européenne (UE) est entré en vigueur dans sa phase transitoire. Le MACF est un ensemble de mesures réglementaires à outils multiples qui doit être mis en place progressivement. Le MACF applique des droits, essentiellement une forme de tarif sous un autre nom, aux marchandises importées en fonction de leur contenu en émissions. Les exportateurs nationaux qui exportent leurs produits, en particulier dans des pays où les restrictions en matière d’émissions sont moins strictes, peuvent bénéficier de remises.
Le MACF s’appliquera dans un premier temps aux importations vers l’UE de marchandises et de certains précurseurs dans les secteurs du ciment, de l’électricité, des engrais, de l’aluminium, du fer, de l’acier et de l’hydrogène non renouvelable. La production de ces précurseurs est à forte intensité de carbone et présente le risque le plus important de fuite de carbone. Le MACF couvrira également certains produits en amont et en aval, notamment le fer, l’acier et l’aluminium en provenance de pays non membres de l’UE, dont le Canada.
Tandis que l’on craint que le MACF puisse être utilisé, intentionnellement ou non, comme une forme de protectionnisme commercial ou de discrimination, le Canada explore la possibilité d’introduire sa propre forme de MACF. Selon la structure de la mesure, les producteurs canadiens pourraient alors bénéficier de remises sur les exportations de produits à forte teneur en carbone vers des pays où la réglementation est moins sévère. En revanche, ces producteurs pourraient être exposés à des plaintes pour préjudice et à des droits compensateurs dans des territoires étrangers relativement aux exportations bénéficiant des subventions canadiennes pour les technologies vertes ou propres destinées à contribuer à la réduction des émissions de carbone au Canada. À l’inverse, les entreprises canadiennes pourraient également être confrontées à une concurrence accrue de la part des importations qui bénéficient elles-mêmes de subventions vertes, ce qui pourrait entraîner une légère augmentation des droits compensateurs appliqués à ces importations.
Évolution des accords de libre-échange
Conformément à l’objectif de la politique d’« amilocalisation », le Canada continue, pour diverses raisons stratégiques, d’enraciner et d’officialiser les relations commerciales avec ses partenaires commerciaux. Le Canada est en train d’introduire ou de moderniser des accords de libre-échange (ALE) avec le Royaume-Uni, l’Ukraine, l’Indonésie et, spécialement, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE).
L’état de ces accords diffère selon les parties contractantes. Par exemple, l’ALE Canada-Ukraine modernisé a été mis au point en sa forme provisoire par les parties et le projet de loi visant à le mettre en œuvre a été déposé à la Chambre des communes le 17 octobre 2023. Les accords avec le Royaume-Uni, l’Indonésie et l’ANASE sont tous à différents stades de négociation. Ces accords de libre-échange, une fois mis au point, amélioreront l’accès aux marchés d’économies vitales pour divers secteurs canadiens.
Il reste encore des obstacles à franchir avant que ces accords ne soient mis au point. Dans certains cas, cela ne se produira pas en 2024. L’état d’avancement de ces négociations et leur mise en œuvre ultérieure doivent faire l’objet d’un suivi attentif.
Les différends en matière d’investissement et de commerce se poursuivent
La période de temporisation pour les nouvelles demandes de règlement de différends entre investisseurs et États dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain s’est terminée en juillet 2023. L’accord qui l’a remplacé, l’ACEUM, ne prévoit pas de recours investisseur-État pour les investisseurs canadiens ou contre le Canada. Néanmoins, de tels différends ont été et peuvent continuer à être soumis à la fois par des investisseurs canadiens et contre le Canada en vertu de traités bilatéraux d’investissement ou d’autres accords commerciaux.
En 2023, les différends entre États les plus notables impliquant le Canada, dans le cadre de l’ALE, concernaient la réglementation des marchés laitiers canadiens, qui reste un point de discorde pour les partenaires commerciaux du Canada. Plus précisément, les pratiques de gestion de l’offre du Canada ont fait l’objet de différends dans le cadre de deux des principaux accords de libre-échange du Canada : l’ACEUM et l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste.
Ce à quoi il faut s’attendre en 2024
À l’approche de 2024, les entreprises peuvent s’attendre à ce que le gouvernement canadien introduise de nouvelles mesures commerciales pour répondre aux crises, pour renforcer les relations avec les alliés et pour soutenir les priorités nationales. Les enseignements tirés de l’intensification des activités dans un certain nombre de domaines en 2023 profiteront aux entreprises et serviront de base au renforcement des mesures en 2024. Les entreprises seraient bien avisées d’être proactives dans la mise en œuvre de processus et de procédures visant à rester à la hauteur dans cet environnement en évolution rapide.