Les plateformes en ligne ont travaillé activement pour répondre aux exigences de conformité découlant des deux volets sur trois du programme numérique du gouvernement fédéral qui ont été adoptés cette année, soit le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, et le projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.
La Loi sur la diffusion continue en ligne exige que les plateformes paient pour du contenu canadien et en fassent la promotion, tandis que la Loi sur les nouvelles en ligne introduit un cadre de négociation obligatoire exigeant des plateformes qu’elles rémunèrent les entreprises de nouvelles pour le contenu de nouvelles.
Malgré plusieurs séries de consultations, le troisième et dernier volet du programme numérique fédéral, un projet de loi très attendu sur la sécurité en ligne, n’a pas encore été déposé. Toutefois, compte tenu de la pression croissante en faveur du dépôt d’un projet de loi sur les préjudices en ligne, nous nous attendons à ce qu’un tel projet soit présenté en 2024.
Les services de diffusion continue en ligne seront soumis à une nouvelle réglementation
Le gouvernement fédéral a récemment pris des mesures pour moderniser la Loi sur la radiodiffusion afin de réglementer les services de diffusion continue en ligne. La Loi sur la diffusion continue en ligne, auparavant le projet de loi C-11, a reçu la sanction royale le 27 avril 2023. Cette loi soumet les services de diffusion continue en ligne et les plateformes de médias sociaux, à titre d’« entreprises en ligne » aux termes de la loi, à la réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
La ministre du Patrimoine canadien (la ministre) a publié le décret d’instructions définitif au CRTC concernant la mise en œuvre de la Loi sur la diffusion continue en ligne le 14 novembre 2023. Le décret demande au CRTC d’établir des règles équitables et adaptables au fur et à mesure de la mise en œuvre de la nouvelle législation.
La Loi sur la diffusion continue en ligne exige que les entreprises en ligne paient pour du contenu canadien et en fassent la promotion.
Elle impose de nouvelles exigences aux entreprises en ligne, notamment l’obligation de payer pour du contenu canadien et de le promouvoir d’une façon comparable aux radiodiffuseurs traditionnels. En particulier, elle permet au CRTC de rendre des ordonnances ou des règlements « concernant les dépenses à effectuer […] par les exploitants d’entreprises de radiodiffusion », pour autant que ces dépenses soient effectuées pour soutenir du contenu canadien, des créateurs canadiens ou des entreprises de radiodiffusion dont les services de programmation revêtent une importance exceptionnelle. Le décret d’instructions publié par la ministre indique que toute exigence imposée par le CRTC aux entreprises en ligne de radiodiffusion doit être équitable compte tenu de la taille et de la nature des entreprises de radiodiffusion et équitable entre les entreprises en ligne étrangères et les entreprises de radiodiffusion canadiennes.
La Loi sur la diffusion continue en ligne a également conféré au CRTC des pouvoirs étendus d’ordonnance et de réglementation, y compris un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer dans quelle mesure il réglementera le contenu téléversé sur les plateformes de médias sociaux par les utilisateurs. La ministre a précisé dans son décret d’instructions que le CRTC ne devait pas imposer d’exigences réglementaires aux créateurs pour les médias sociaux. Les instructions définissent un créateur pour les médias sociaux comme une personne qui crée des émissions principalement destinées à être distribuées en ligne en tant qu’émissions téléversées par l’utilisateur au moyen de services de médias sociaux. Cette définition englobe les balados et les entreprises de radiodiffusion en ce qui concerne la transmission de jeux vidéo.
Le CRTC peut également imposer de nouvelles exigences aux entreprises de radiodiffusion. Il pourrait notamment obliger les entreprises en ligne à lui fournir des données financières ou commerciales et à rendre certains programmes canadiens « découvrables » au moyen de modifications algorithmiques. Cependant, le décret d’instructions de la ministre demande au CRTC de se concentrer sur les règlements et les conditions qui réduisent la nécessité pour les entreprises en ligne de radiodiffusion de modifier leurs algorithmes.
Enfin, la Loi sur la diffusion continue en ligne instaure un mécanisme de sanctions pécuniaires qui prévoit une pénalité d’un montant maximal de 10 millions de dollars pour une première infraction et de 15 millions de dollars pour toute infraction ultérieure.
Au printemps 2023, le CRTC a entamé un processus de consultation concernant les changements proposés dans le cadre de la Loi sur la diffusion continue en ligne. Le CRTC a demandé des commentaires sur trois sujets : i) les contributions que les services en ligne doivent apporter pour soutenir le contenu canadien et autochtone, ii) les critères de détermination des services de diffusion en continu qui doivent s’enregistrer auprès du CRTC, et iii) les ordonnances d’exemption et les conditions applicables à certains services de diffusion continue en ligne.
Le CRTC a rendu des décisions concernant deux des trois consultations. La première décision a établi que les services de diffusion continue en ligne doivent s’enregistrer auprès du CRTC au plus tard le 30 novembre 2023. Les entreprises en ligne ne sont pas tenues de s’enregistrer si leurs revenus bruts annuels de radiodiffusion au Canada sont inférieurs à 10 millions de dollars ou si leur activité et leur objectif uniques consistent à fournir des services de jeux vidéo ou des services de livres audio.
La deuxième décision énonce les conditions de service qui seront imposées aux entreprises en ligne en ce qui concerne la collecte de renseignements, la préférence et le désavantage indus ainsi que la mise à disposition de contenu sur Internet et le dépôt de renseignements financiers. Contrairement aux exigences en matière d’enregistrement, la condition relative à la collecte de renseignements s’applique à toutes les entreprises en ligne, à l’exception de celles dont l’activité et l’objet uniques consistent à fournir des services de jeux vidéo ou de livres audio.
Les conditions de service relatives à la préférence et au désavantage indus interdisent aux entreprises en ligne d’accorder une préférence indue à quiconque, y compris à elles-mêmes, ou de causer à quiconque un désavantage indu. Le CRTC s’est vu accorder le pouvoir de tenir des audiences en réponse à une plainte pour préférence ou désavantage indu visant une entreprise en ligne. Il a indiqué qu’il tiendra des consultations concernant un cadre d’application de ces questions aux entreprises en ligne.
Le processus de consultation concernant les contributions au système canadien de radiodiffusion est en cours. Les audiences publiques ont commencé le 20 novembre 2023 et se poursuivront jusqu’au 8 décembre 2023. Plusieurs consultations supplémentaires sont prévues pour la fin de l’année 2023 et le début de l’année 2024, notamment sur l’accès aux marchés locaux et la concurrence, la protection des consommateurs canadiens et la définition du contenu canadien et autochtone.
Les organisations susceptibles d’être concernées par ces changements devraient continuer à suivre les décisions du CRTC et participer aux consultations pertinentes. Le CRTC vise actuellement la fin de l’année 2024 pour la mise en œuvre de ses décisions stratégiques.
De nouvelles exigences pour les plateformes dominantes en matière de paiement pour le contenu de nouvelles
La Loi sur les nouvelles en ligne, auparavant le projet de loi C-18, établit une procédure de négociation obligatoire sous l’autorité du CRTC. Elle a reçu la sanction royale le 22 juin 2023 et entrera en vigueur le 19 décembre 2023. Cette nouvelle législation s’applique aux « intermédiaires de nouvelles numériques », c’est-à-dire aux plateformes de communication en ligne comme les moteurs de recherche et les services de médias sociaux qui rendent disponibles du contenu de nouvelles produit par des médias d’information canadiens.
La Loi sur les nouvelles en ligne exige de ces intermédiaires qu’ils négocient des accords avec les médias d’information canadiens, en vertu desquels les plateformes réglementées rendront disponibles des contenus de nouvelles canadiens. Elle « vise à garantir que les plateformes dominantes indemnisent les entreprises de nouvelles lorsque leur contenu est rendu disponible sur leurs services ».
La Loi sur les nouvelles en ligne s’applique aux intermédiaires de nouvelles numériques s’il existe un « déséquilibre important entre le pouvoir de négociation » de ces intermédiaires et celui des entreprises de nouvelles, comme le définit le cadre de négociation. Si un intermédiaire de nouvelles numériques estime qu’il tombe sous le coup de la Loi sur les nouvelles en ligne, il doit en informer le CRTC.
Les entreprises de nouvelles admissibles peuvent entamer le processus de négociation avec un intermédiaire de nouvelles numériques. Les entreprises de nouvelles peuvent obtenir une désignation d’admissibilité de la part du CRTC si elles satisfont aux exigences prescrites pour être considérées comme une « organisation journalistique canadienne qualifiée » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.
La procédure de négociation structurée prévue par la Loi sur les nouvelles en ligne commence par une période de négociation de 90 jours, suivie d’une période de médiation de 120 jours si aucun accord n’est conclu. Si aucun accord n’est trouvé, l’une des parties peut entamer une procédure d’arbitrage final obligatoire de 45 jours.
Les intermédiaires de nouvelles numériques peuvent demander au CRTC d’être exemptés de la procédure de négociation obligatoire. Ce dernier doit accorder l’exemption si certaines conditions sont remplies. L’intermédiaire doit avoir conclu des accords avec des entreprises de nouvelles exploitant des médias d’information qui produisent du contenu de nouvelles destiné principalement au marché canadien de l’information. Le CRTC doit également être d’avis que l’accord satisfait aux exigences prescrites, y compris l’octroi d’une indemnisation équitable aux entreprises de nouvelles pour le contenu de nouvelles rendu disponible par l’intermédiaire.
Le CRTC est habilité à prendre des règlements sur un certain nombre de questions, notamment les demandes de désignation d’admissibilité, les demandes d’ordonnances d’exemption, la procédure de négociation et l’établissement d’un code de conduite régissant la procédure de négociation. Le non-respect de la Loi sur les nouvelles en ligne expose les entités à des pénalités administratives pécuniaires pouvant aller jusqu’à 10 millions de dollars, et jusqu’à 15 millions de dollars pour chaque infraction ultérieure.
Le 24 août 2023, le CRTC a publié son plan de mise en œuvre de la Loi sur les nouvelles en ligne. Il compte tenir une consultation publique pour l’aider à élaborer le cadre de négociation à l’automne 2023. Le CRTC invitera à fournir des commentaires sur le fonctionnement du processus de négociation et d’arbitrage, sur un code de conduite pour les négociations et sur la procédure d’admissibilité pour les organes de presse. Le CRTC a indiqué qu’il prévoyait de publier le cadre et le code de conduite à l’été 2024. Les négociations obligatoires pourront commencer à la fin de 2024 ou au début de 2025, une fois que les organes de presse admissibles et les arbitres seront en place. Au moment d’écrire ces lignes, le processus de consultation n’a pas encore commencé.
Le 2 septembre 2023, le ministère du Patrimoine canadien a publié un projet de règlement dans la Gazette du Canada et annoncé une période de consultation de 30 jours. Le projet de règlement décrit les facteurs utilisés pour déterminer si un intermédiaire est régi par la Loi sur les nouvelles en ligne, les délais dont disposent les intermédiaires pour aviser le CRTC qu’ils sont soumis à la Loi et d’autres détails concernant les critères que le CRTC doit prendre en compte pour déterminer s’il y a lieu d’émettre une ordonnance d’exemption. Les commentaires sur le règlement peuvent être consultés dans la Gazette du Canada.
Après avoir évalué les commentaires reçus au cours de la période de consultation, le ministère du Patrimoine canadien préparera le règlement définitif qui sera soumis à l’approbation du gouverneur en conseil. Sous réserve d’approbation, le règlement définitif sera publié et entrera en vigueur à la date qui y est prescrite.
De plus en plus de pression pour l’adoption d’un cadre pour la sécurité en ligne
Le 23 janvier 2023, le ministère du Patrimoine canadien a publié un rapport concernant sa dernière série de consultations sur un projet de cadre de sécurité en ligne. Le processus de consultation, qui s’est déroulé de juillet à novembre 2022, consistait en 19 tables rondes sur les éléments essentiels d’un régime de sécurité en ligne. Les parties prenantes ont également été invitées à commenter les contributions du groupe consultatif d’experts sur la sécurité en ligne, dont les réunions se sont achevées début juin.
Selon le rapport, les parties prenantes jugent nécessaire l’adoption d’une loi régissant la sécurité en ligne et ont convenu que les plateformes en ligne devraient être rendues « responsables des préjudices qui ont lieu sur leurs plateformes » et estiment qu’une plus grande transparence est nécessaire en ce qui concerne la modération des contenus. L’une des principales préoccupations était la sécurité des jeunes, notamment le partage inapproprié d’images intimes, le leurre en ligne, la désinformation et les préjudices pour la santé mentale. Les participants se sont prononcés en faveur d’une conception adaptée à l’âge et d’un renforcement du contrôle parental, faisant écho à la recommendati0on du groupe consultatif d’experts selon laquelle « les plateformes devraient avoir une obligation spéciale de protéger les enfants en raison de leur vulnérabilité aux risques de l’espace en ligne ».
Parmi les autres sujets de discussion, citons des appels à une éducation en matière de sécurité en ligne et de culture numérique ainsi qu’un débat sur le rôle des forces de l’ordre dans le domaine de la sécurité en ligne.
Aucun texte législatif n’a été déposé à ce jour. À la suite du remaniement ministériel de juillet 2023, le dossier de la sécurité en ligne est en train d’être transféré au ministère de la Justice en raison de ses interactions avec le Code criminel. Le ministère du Patrimoine continuera cependant à jouer un rôle de soutien. Ce changement de responsabilité pourrait contribuer aux retards observés. Interrogé sur l’état d’avancement de la nouvelle loi à la mi-octobre, le ministre de la Justice a indiqué qu’un projet de loi était à venir, mais n’a pas fourni d’échéancier. Toutefois, compte tenu de la pression croissante à cet égard, on peut s’attendre à ce qu’un projet de loi sur les préjudices en ligne soit présenté en 2024.